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Entretien avec Laura Degracia, fondatrice de Collective Adventure

Certains de nos campeurs doivent faire appel à des fabricants extérieurs pour produire leurs innovations. C’est la cas de Laura Degracia pour Collective Adventure. Elle a accepté d’être interviewée pour nous parler de ce processus.


Laura Degracia, fondatrice et présidente de Collective Adventure, un studio d’édition de jeux d’aventure à impact social et environnemental, nous parle de leur tout nouveau jeu, “BUDIZZ”, et de leur expérience dans la recherche d’un fabricant pour leurs jeux.

Ludivine : Peux-tu te présenter ?

Laura : Je suis Laura Degracia, la fondatrice et présidente de Collective Adventure qui est un studio d’édition de jeux d’aventure à impact social et environnemental. On s’apprête d’ailleurs à lancer notre deuxième jeu “BUDIZZ”, à la suite de notre premier opus “ROLETIME • La Plaine des Bourdonnements” sorti en juin dernier. Et nous avons donc pour ce deuxième jeu, comme pour le précédent, des enjeux de production Made in France en ce moment-même !

Ludivine : Pour la production de “BUDIZZ”, quand et comment s’est passée ta recherche de fabricant ?

Laura : Initialement, nous avions envisagé de travailler à nouveau avec le même fabricant pour ”BUDIZZ”, que celui avec lequel nous avions imprimé ”ROLETIME”, qui est basé près de Dijon. Cependant, nous avons fini par envisager de changer de fabricant pour des questions de format et de coût. Nous avons donc refait un benchmark pour savoir avec qui travailler cette fois-ci, tout en gardant en têtedeux critères fondamentaux pour nous : que la production soit française et la plus éco-responsable dans le choix des matières.

Ludivine : Sur quels critères avez-vous sélectionné un fabricant pour “BUDIZZ” ?

Laura : Nous avions trois principaux critères. Tout d’abord, nous voulions absolument un fabricant français, ce qui, dans le domaine des jeux de société, limite les options aussi bien en termes d’interlocuteurs que de matériaux, car certains éléments ne peuvent pas être produits en France, comme les dés par exemple. Dans la boîte de jeu de “ROLETIME”, on a donc un dé qui vient d’Angleterre. Mais on sait aussi que d’autres types de matériaux sont exclusifs à la Chine et donc lorsqu’on commence à réfléchir à un jeu on sait d’avance que certains matériaux ne seront pas dans notre boîte. C’est pour ces raisons qu’il était très important pour nous de réfléchir le gameplay du jeu en tenant compte des limites matérielles. Ensuite, le deuxième critère important était le coût. Nous avions à coeur de conserver de haut standards de qualité tout en essayant de réduire nos coûts car nous ne produisons pas de gros volume. Par exemple pour “BUDIZZ” on commence avec une production de 2500 exemplaires, ce qui est plutôt une quantité habituelle, mais en comparaison avec d’autres jeux, on ne produit pas 5000 ou 10 000 exemplaires, et donc le critère prix est forcément important. Enfin, nous recherchions un fabricant qui puisse nous accompagner tout au long du processus, car nous avions encore besoin de monter en compétence sur ces sujets d’impression. Il y a pleins de termes propres à ce sujet-là que nous ne connaissions pas avant, et que nous avons appris en travaillant sur “ROLETIME”. Et pour ce deuxième jeu, en plus de notre besoin précis d’un format spécifique que nous avions en tête, nous avions également besoin d’être rassuré durant toutes les étapes de fabrication. Nous avions donc à coeur de trouver un fabricant qui soit disponible, joignable facilement, et avec lequel nous pourrions créer un vrai relationnel.

Je crois que c’était vraiment ces trois critères qui ont motivé notre choix : le made in France, le tarif et l’accompagnement. C’est pour ces raisons que nous avons décidé de travailler avec Ludotopia pour ce second jeu.

Ludivine : As-tu rencontré des difficultés ou des surprises lors de votre travail avec les fabricants?

Laura : La plus grande surprise est survenue quand on travaillait sur la production de “ROLETIME”, car nous, Jérémy (le co-fondateur de Collective Adventure) et moi, on vient tous les deux du monde du digital et on était donc peu familiers des aspects techniques de l’impression. On a dû anticiper avec la différence de couleurs entre ce qu’affiche un écran d’ordinateur et les couleurs réelles des épreuves d’impression qui pouvaient être sensiblement différentes. On s’est rendu compte au moment de la validation des BAT que certaines de nos illustrations étaient trop sombres et qu’un travail de réajustement devait être engagé.

Nous avons également eu des surprises liées au grammage du papier, et si je peux donner un conseil aujourd’hui c’est celui de toujours demander des échantillons pour éviter les surprises ! En particulier lorsqu’on travaille avec des matières recyclées : nous travaillons pour nos jeux avec des papiers labellisés PEFC ou FSC et cela a une influence sur le rendu et la texture des cartes. Et parfois, lorsque l’on travaille avec des petits producteurs spécialisés dans les prototypes, il faut bien avoir en tête que le produit final ne sera pas le même. Souvent la difficulté est que les entreprises qui vont te faire tes prototypes ne sont pas celles qui impriment de manière industrielle. On peut donc utiliser un prototype pendant 6 mois pour des playtests en festival et se rendre compte que le produit final n’est pas exactement le même. On a aussi rencontré des petits problèmes d’inattention, parce qu’après être passé 450 fois sur le même document, on finit par loucher dessus et rater de petites choses. De plus, les coûts de livraison peuvent aussi être une surprise. Souvent, par défaut, les fabricants proposent un seul point de livraison à un certain prix. Mais dans les faits, on a souvent besoin de plus qu’un seul point de livraison, parce qu’on veut envoyer des exemplaires à différents acteurs : partenaires, influencers, distributeurs… Ce qui change le coût unitaire de livraison.

Cependant, nous avons appris de ces expériences pendant la fabrication de “ROLETIME”, ça a été un vrai parcours d’apprentissage. Nous avons eu la chance d’avoir des partenaires de fabrication à l’écoute, qui ont pris le temps de nous rassurer et de nous expliquer les différentes étapes du processus.

Mais malgré cette première expérience, il nous arrive encore de faire des erreurs bien sûr ! Pour le prototype de “BUDIZZ” par exemple nous avons fait une erreur et les versos de nos cartes se sont retrouvés inversés. C’était heureusement à l’étape de prototype, on en a fait 10 exemplaires et on s’en est vite rendu compte. Mais lorsque que tu as dépensé de l’argent pour ça, même si pour cette fois-ci c’est pas très grave, c’est toujours embêtant. C’était une erreur de vigilance qu’on ne refera plus : on sait aujourd’hui que les spécifications techniques ne sont pas équivalentes d’un imprimeur à l’autre et qu’il vaut mieux poser la question deux fois !

Enfin, un dernier point de vigilance qui peut avoir une incidence sur le prix, c’est la question du colisage. Chaque distributeur impose des contraintes qui lui sont propres concernant le nombre de boîtes de jeu dans un colis, et rapidement ça peut augmenter de 0,30 centimes le coût unitaire de chaque boîte, ce qui n’est pas négligeable.

Ludivine : As-tu des recommandations ou conseils pour d’autres créateurs qui recherchent un fabricant ?

Laura : Le premier conseil que je peux donner, c’est de partager son projet avec d’autres acteurs de l’industrie, comme son distributeur par exemple. Ils peuvent vous orienter vers des fabricants fiables et expérimentés. Je crois que la réelle difficulté quand tu arrives sur un marché, c’est que tu veux souvent tout faire tout seul. Mais parler ouvertement de ton projet, même au stade de l’idée, peut te permettre d’identifier de potentiels partenaires, éviter des erreurs ou profiter de l’expérience d’acteurs plus avancés. C’est toujours plus intéressant de choisir un fabricant qu’un compétiteur nous a conseillé plutôt que d’essayer d’en trouver un seul.e.

Le deuxième conseil ce serait de bien faire les choses dans l’ordre. Pour “ROLETIME” on a fait les choses un peu à l’envers, c’est à dire qu’on a d’abord pensé tout notre jeu avant de demander un devis. Résultat, on s’est retrouvé avec un devis très coûteux pour une boîte qui contenait beaucoup de matériel, et donc une rentabilité forcément impactée. C’est pour ces raisons qu’il est important d’échanger avec son fabricant le plus tôt possible et d’essayer au maximum de concevoir son produit en ayant en tête certaines limites techniques (en termes de matière, contenu,…). Pour “BUDIZZ” on a pris le soin de penser la mécanique de jeu en ayant bien en tête un certain nombre de paramètres techniques, pour le format ou le nombre de cartes par exemple. Je pense que c’est un bon moyen de viser la rentabilité tout en ayant un jeu qui répond à nos attentes et surtout à celles des joueurs et joueuses. L’idée n’est pas de se brider en termes de créativité mais de ne pas se retrouver dans la situation frustrante où l’on doit revoir tout le matériel ou supprimer des éléments de son jeu, parce qu’on ne peut pas se permettre d’augmenter son coût de production. Ce qui revient finalement à impliquer le fabricant dès le début de la conception de votre produit pour éviter des coûts inattendus et des déceptions. En fin de compte, il est essentiel de trouver le bon équilibre entre nos envies, convictions écologiques et la réalité économique de la production. Même si c’est un petit peu cliché : il faut savoir parfois lâcher l’idée du produit idéal qu’on a en tête, et qu’en tant que créateur on peut parfois fantasmer, et accepter certaines contraintes techniques et économiques. C’est pour ça que c’est super intéressant de mettre le fabricant très vite dans la boucle : ça nous permet de ramener du concret et d’avoir en tête rapidement que certains sujets seront plus complexes que ce qu’on imaginait. Par exemple, on aurait aimé idéalement ne pas avoir du tout de plastique autour de notre boîte. C’était techniquement possible mais notre boîte de jeu est blanche, et sans emballage plastique on court donc le risque que notre jeu arrive déjà abîmé en boutique à cause du transport ou même des manipulations logistiques. Nous avons donc choisi de faire une concession pour le plastique car il était impensable pour nous que que nos clients payent et reçoivent un produit en mauvais état.

Merci à Laura d’avoir partagé avec nous ces précieux conseils basés sur son expérience dans la recherche de fabricants.

Collective Adventure s’apprête à sortir leur deuxième jeu “BUDIZZ”, un jeu de cartes et de stratégie coopératif pour 2 à 6 joueurs, dont le lancement se fera via une campagne Ulule qui débutera officiellement le 17 octobre ! Alors tenez-vous prêts ! 🎲

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