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Entretien avec Guillaume Michel Du vert dans les rouages

Guillaume MICHEL est un ancien campeur, il a fondé la coopérative Du vert dans les rouages, et a accepté lors d’une interview de revenir sur son parcours lié à l’ESS.


Ludivine : Bonjour Guillaume. Peux-tu nous présenter ton entreprise ?

Guillaume : Du vert dans les rouages est une société coopérative et participative (ou SCOP) implantée à Bordeaux, qui propose de l’accompagnement à la transition écologique. On accompagne à la fois les territoires et les organisations, autrement dit les collectivités et les entreprises, bien qu’il y ait une forme de complémentarité entre ces deux acteurs.

On défend une vision humaniste de la transition écologique avec pour valeur clé d’essayer de remettre l’humain au centre des enjeux de la transition. Et on travaille cette matière complexe à la fois à l’échelle des territoires, des organisations, mais aussi des individus dans les organisations.

Pour nous, le mot clé est le dialogue : dialogue social ou professionnel quand on intervient en entreprise, et territorial quand on intervient auprès des territoires, souvent auprès d’acteurs qui n’ont pas forcément l’habitude de se parler.

Notre action se décline sur 3 échelles d’intervention:

  • Sur le territoire et ses acteurs : pour traiter avec eux de sujets d’innovations sociales ou environnementales et souvent en faisant de la facilitation territoriale.
  • Auprès des organisations et des entreprises : il peut s’agir d’entreprises, d’associations ou de collectivités, et nous intervenons pour faire de l’accompagnement à la transformation écologique.
  • Et le dernier volet c’est l’accompagnement des personnes à travers des programmes de formation : Nous ne sommes pas certifiés Qualiopi, donc nous passons par une adhésion à une société coopérative d’intérêt collectif Savoir devenir, dont nous sommes sociétaires fondateurs

Ludivine : Quelle est la place de l’ESS dans ton parcours et dans ton entreprise ?

Guillaume :

Chez Du vert dans les rouages nous intervenons de manière non thématisée, systémique, sur tous les enjeux de la transition écologique avec pour différenciation le fait de mettre en avant le facteur humain. Cette vision très humaniste est depuis le départ au cœur du projet entrepreneurial de la société coopérative.

La SCOP est née juridiquement au début de cette année 2023, mais cela fait six ans que l’activité existe. Nous sommes passés par deux ans de test d’activité au sein de la couveuse Anabase, puis ensuite nous avons intégré le Campement, pour la période de pré-figuration de la société coopérative, sous forme associative. Nous avons ressenti le besoin de passer par un statut associatif, beaucoup plus souple, pour nous permettre de développer l’activité, pour muscler un peu tout ce qui allait constituer les bases de la future SCOP.

Aujourd’hui, je suis aussi administrateur de la CRESS Nouvelle-Aquitaine et je me fais le relais du projet politique et du plaidoyer de la CRESS. Le projet de l’économie sociale, c’est de se substituer à l’économie conventionnelle en intervenant sur tous les domaines de l’économie. Pour moi, “être dans l’ESS” ne veut rien dire. C’est plus une modalité d’entreprendre avec des valeurs particulières qui sont celles de la coopération, de la solidarité, du partage de la valeur, de la démocratie dans l’entreprise, etc.

Ludivine : Quels sont selon toi les avantages et les contraintes d’entreprendre dans l’ESS ?

Guillaume : Je ne me suis pas lancé dans un projet entrepreneurial dans l’économie sociale et solidaire en me disant que j’allais en retirer des bénéfices ou qu’il y aurait des inconvénients par ailleurs.

Je pense que le plus important est de savoir pourquoi on le fait en termes de valeurs. Par essence, quand tu es une structure de l’ESS, tu vas travailler avec d’autres structures de l’ESS, ce qui vient créer une certaine force de frappe. C’est un avantage. Il y a une capacité à se développer en solidarité avec d’autres acteurs du territoire. La dimension de territorialité est très importante quand on travaille dans l’économie sociale et solidaire, ce qui est très intéressant.

Et je pense que finalement, les inconvénients, ce sont un peu les mêmes, c’est-à-dire le risque d’un “entre-soi” dont on entend souvent parler. Il y a un risque de vase clos, puisqu’on favorise le travail avec d’autres acteurs de l’ESS qui partagent des valeurs, qui partagent des statuts. Nous, dès qu’on peut travailler avec des coopératives, on le fait parce que c’est naturel. Si on peut prendre des parts dans des coopératives, on va le faire parce que c’est notre manière d’investir dans l’ESS. Cela peut être perçu par certains acteurs comme une forme “d’entre-soi”, vision contre laquelle on est obligé de se battre en disant que ce n’est pas de l’entre-soi parce que c’est un projet politique qui vise à remplacer l’économie conventionnelle. Et finalement, plus on seranombreux dans l’économie sociale et solidaire, et moins on seradans l’entre-soi ! C’est une autre manière d’entreprendre.

Ludivine : Qu’est-ce que cela implique d’être une structure de l’ESS dans l’organisation de la coopérative ?

Guillaume : Le premier point est qu’il faut montrer patte blanche : tout le monde ne peut pas se revendiquer comme acteur de l’économie sociale. Il y a une loi qui encadre l’économie sociale et qui définit ce qu’elle est, la loi Hamon de 2014. Dans l’économie sociale, il y a plusieurs branches, et en fonction de la branche dans laquelle tu te situes, il y a des implications qui peuvent être très différentes .

Quand on pense ESS, on pense souvent associatif, avec des formes d’engagements qui sont particulières à l’associatif, puisque dans l’associatif non seulement la lucrativité est limitée mais elle est même le plus souvent inexistante.

Ce n’est pas le cas pour les coopératives. En coopérative, on a vocation à créer de la valeur mais ce qu’on fait des excédents est orienté vers une forme de lucrativité limitée. On cherche généralement peu à rémunérer le capital, pour affecter la valeur créée aux autres composantes de l’entreprise : en valorisant d’une part le travail réalisé par ceux qui créent de la valeur dans la structure (via des régimes de primes par exemple) et d’autre part les réserves d’entreprises qui sont plus importantes que dans les modèles d’entreprise classique, ce qui fait que les SCOP ont souvent cette réputation, qui je crois est démontrée par les chiffres, d’être plus résilientes en situation de crise que les entreprises classiques. Parce que la valeur créée servira à la durabilité, à la pérennité de l’entreprise, plutôt qu’à rémunérer l’actionnariat.

C’est important de se sortir de la tête l’idée que, dans l’ESS, on ne se rémunère pas.

Je suis plutôt un militant de l’inverse. Je pense que parce qu’on travaille sur des sujets d’impact social et environnemental, on doit se rémunérer, car ce qu’on fait est utile à la société. Les salaires dans l’ESS doivent autant que possible être les mêmes que dans l’économie conventionnelle, voire pourquoi pas être plus élevés quand c’est possible. Et cela peut être rendu possible justement par le fait de moins rémunérer le capital. Il y a donc cette question qui, pour moi, est centrale : qu’est-ce qu’on fait de la valeur créée ? Et en l’occurrence, on la partage de manière démocratique entre les salariés. Pour ma part je suis aujourd’hui gérant et associé mais aussi salarié de la SCOP. C’est un statut un peu particulier pour un dirigeant d’entreprise, mais cela montre que la question démocratique est très importante. C’est un des piliers qu’on retrouve en transversal dans tous les projets de l’économie sociale et solidaire. Dans la coopérative, les décisions importantes sont prises par l’Assemblée Générale des sociétaires, avec une équivalence de voix. Donc chaque personne a le même poids dans la prise de décision. Le poids n’est pas rattaché à la part du capital que détient la personne dans l’entreprise. Une personne est égale à une voix. C’est un des principes majeurs dans l’économie sociale. Ce qui implique que moi, en tant que gérant, j’ai au-dessus de ma tête un chapeau pour la gérance, mais il peut très bien changer de tête à un moment donné. Quand on est entrepreneur, c’est une prise de risque qui peut être parfois difficile à appréhender, mais cela veut aussi dire -et on l’oublie souvent- qu’en tant que dirigeant je peux tout à fait me dire que si je veux monter un autre projet entrepreneurial, si j’ai envie de changer de vie, ou n’importe quoi… Je peux le faire. Ces situations-là peuvent mettre à mal la vie d’une entreprise classique. Mais en SCOP on l’anticipe, et je suis personnellement très rassuré de me dire que si un jour je quitte l’entreprise, elle survivra. Elle va continuer à se développer parce que les bases sont là pour que l’assemblée des sociétaires puisse continuer à grandir et à faire fonctionner l’entreprise. Quelqu’un d’autre prendra juste le chapeau de la gérance à ma place. La gouvernance est tournante. Cette idée de gouvernance partagée se traduit surtout dans la stratégie à long terme. Ce qu’on met en débat, c’est ce qui est le plus important. On cherche à faire adhérer l’assemblée des sociétaires à une vision commune de l’entreprise. Autre particularité de notre fonctionnement : on ne cherche pas à se développer. Cela peut paraître contre-intuitif, parce que beaucoup de dirigeants d’entreprises vont considérer que le principe même de l’entrepreneuriat, c’est de chercher à grossir. Nous, on ne cherche jamais à grossir. On grossit en fonction des besoins qui sont édités par nos partenaires et par nos clients. Ce qui se traduit par une croissance lente, mais qui est beaucoup plus pérenne, beaucoup plus durable. Depuis 6 ans, notre chiffre d’affaires progresse tranquillement, de manière relativement régulière.

Au niveau de notre positionnement, il faut comprendre que dans l’économie sociale il y a un rapport à la concurrence qui est complètement différent de celui de l’économie conventionnelle. Pour commencer, il y a moins de concurrence parce qu’on est moins nombreux, et même lorsque nous sommes concurrents on a plutôt le réflexe d’essayer de travailler ensemble, en complémentarité. Dans les faits, on se retrouve très souvent à répondre à des appels d’offres en co-traitance avec des entreprises dont on peut penser de l’extérieur qu’elles font la même chose que nous par exemple. Mais pour nous c’est très naturel de nous associer, parce que la mutualisation de nos savoirs, de nos compétences mais aussi de nos valeurs va créer de la richesse pour nos clients.

Ludivine: Quels conseils donnerais-tu aux personnes ou aux structures qui souhaiteraient s’engager dans l’économie sociale et solidaire ?

Guillaume: Il me semble que le conseil le plus avisé serait d’aller rencontrer les acteurs de l’ESS pour comprendre vraiment ce que c’est.

D’ailleurs je te remercie de me donner l’opportunité de l’expliquer un petit peu ici. Car je pense que dans l’imaginaire de beaucoup de gens, l’économie sociale rime avec entrepreneuriat à impact. Il y a souvent une confusion entre l’économie sociale et solidaire et l’entreprise à impact. Or, l’économie sociale et solidaire, c’est d’abord la manière dont l’entreprise intervient pour elle-même avec ses salariés. Autrement dit : comment on fait en sorte d’accompagner les personnes vers une forme d’autonomie, d’émancipation, au sein d’une entreprise. Cela peut passer par la formation des salariés, pour leur permettre de grandir pour avoir une parfaite maîtrise de la chaîne de valeur. La position de salarié classique va avec une forme de confort, qui est parfois aussi une forme de dé-responsabilisation. Alors que dans la SCOP, on cherche la responsabilisation des individus le plus possible. Au final, l’économie sociale et solidaire, ce sont surtout des modèles d’entrepreneuriat qui sont basés sur ces piliers que nous avons évoqués ensemble plus haut : la gouvernance partagée, la démocratie, le partage de la richesse… Je crois que pour qu’un entrepreneur soit capable de savoir s’il est fait ou non pour l’ESS, il faut que ces piliers soient bien compris et mesurés. Un autre conseil serait de vérifier l’adéquation entre ses valeurs et celles de l’ESS. Certes, c’est dans l’air du temps, de plus en plus d’acteurs notamment institutionnels sont sensibles au statut de l’ESS quand ils choisissent de travailler avec certaines entreprises. C’est vrai qu’on le constate. Il nous est arrivé d’avoir des territoires qui nous ont dit dès le départ que notre statut SCOP les avait intéressés. Sauf que si l’on va vers l’ESS sans avoir les valeurs qui vont avec, à un moment donné cela peut coincer. L’important est donc de trouver le statut adapté avec ce que l’on fait et aux valeurs que l’on souhaite défendre. Le statut SCOP, pour parler de celui que je connais, est par exemple un statut qui est assez exigeant voire radical, qui peut ne pas convenir à tout le monde.

Il est donc important de se renseigner pour comprendre ce que cela implique vraiment en terme d’engagement. L’ESS est réglementairement définie et on ne peut pas se revendiquer de l’ESS juste parce que on porte des projets qui sont en lien avec des thématiques sociales ou environnementales. C’est défini par la loi et ça peut être assez contre-productif voire risqué en terme d’image pour une entreprise de se positionner sur l’économie sociale et solidaire si elle n’en a pas les statuts ou les valeurs.


Un grand merci à Guillaume de nous avoir accordé de son temps et d’avoir expliquer en détails son parcours lié à l’ESS.

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