Chloé : Bonjour Esther, est-ce que tu pourrais te présenter et présenter Seastemik ?
Esther : Bien sûr, je suis Esther Dufaure, la directrice de Seastemik. Notre organisation, fondée en novembre 2023, est une nouvelle association et ONG française qui se consacre à la préservation des océans.
Notre constat est clair : pour protéger les océans, il est impératif de sauvegarder les écosystèmes marins et terrestres, ainsi que les espèces aquatiques. La principale menace pour nos océans réside dans la surpêche et dans l’aquaculture durable, entraînant une consommation excessive de poissons.
C’est pourquoi nous concentrons nos efforts sur la protection des espèces emblématiques, en commençant par le saumon, 2ème poisson le plus consommé en France.
Chez Seastemik, nous avons opté pour une approche intersectionnelle qui englobe trois perspectives majeures : l’écologie, en particulier la préservation des écosystèmes marins, mais également les aspects humains, incluant la santé et la justice sociale, ainsi que la condition animale. Notre concept repose sur l’utilisation de l’art et de la créativité pour mobiliser les individus, tout en soutenant des initiatives locales et de terrain lorsque c’est nécessaire. En France actuellement, nous constatons une demande croissante, car certains industriels cherchent à implanter des installations terrestres pour l’élevage de saumons, de leur stade juvénile jusqu’à l’abattage sur terre.
Ces projets suscitent de nombreuses problématiques, notamment en termes de consommation énergétique excessive, d’impacts sévères sur les écosystèmes marins et sur les populations humaines, sans oublier le non-respect du bien-être animal. De plus, ces initiatives demeurent pour l’instant expérimentales, sans précédent à l’échelle mondiale.
Chloé: Peux-tu me parler de la genèse du projet, de quel constat êtes-vous partis?
Esther: Notre projet est né d’un constat alarmant : depuis 1950, la consommation de poissons a été multipliée par neuf, mettant en évidence une surconsommation généralisée. Cette réalité nous a poussé à adopter une approche ciblée pour agir de manière efficace. Nous avons choisi de concentrer nos efforts sur les espèces emblématiques, en particulier le saumon, qui est le 2ème poisson le plus consommé en France.
Pourtant, malgré cette surconsommation de “produits” de la mer, une grande majorité de la population française présente un risque élevé de carence en oméga-3. En effet, 89 % des Français sont en risque de carence en DHA (acide gras essentiel bénéfique pour le cerveau, les yeux et le système nerveux), une forme d’oméga-3, ainsi qu’en EPA (acide gras oméga-3 important pour la santé cardiovasculaire et la réduction de l’inflammation), et 99 % en risque de carence en ALA (acide gras essentiel de la famille des oméga-3, important pour la santé cardiovasculaire et le bon fonctionnement du corps).
Cette situation soulève une problématique majeure : malgré une consommation importante, notre système alimentaire actuel ne fournit pas les nutriments essentiels nécessaires à une alimentation équilibrée. Nous sommes face à une inefficacité du système actuel de nutrition alimentaire.
La création de Seastemik est le fruit d’une rencontre significative avec Maxime De Lisle (auteur de bandes dessinées engagées sur les thématiques liées aux océans et à la pêche), souhaitait intégrer les luttes locales contre les installations terrestres de saumon dans son travail. Nous nous sommes croisés lors de notre engagement commun contre le projet Pure Salmon à Gironde, au Verdon-sur-Mer.
Lors de nos échanges sur ces sujets, nous avons constaté une réelle affinité d’idées : au lieu de simplement critiquer ces projets, nous aspirions à proposer des solutions alternatives concrètes pour changer la donne. Nous avons donc décidé de nous lancer ensemble dans cette aventure et de concrétiser nos idées.
Maxime a rassemblé des amis, qui avaient déjà été bénévoles pour des actions de lutte pour la préservation marine, et avec ce groupe d’individus engagés nous nous sommes réunis pour donner naissance à Seastemik. Aujourd’hui, notre équipe compte déjà deux salariées, Salomé et moi-même.
Chloé: Pour ce qui est l’actualité de Seastemik, pourrais-tu nous parler de votre récent engagement contre le projet Pure Salmon et la production intensive de saumon ?
Esther: Nous sommes en effet fortement engagés dans la lutte locale contre le projet Pure Salmon et la production intensive de saumon. Nous apportons notre soutien au collectif Estuaire 2050, un regroupement local actif des deux côtés de l’estuaire, de Royan au Verdon.
Nous sommes également aux côtés de l’association “Eaux Secours Agissons !” dans cette démarche. Parallèlement à ces actions de terrain, nous avons développé un axe spécifique pour collaborer avec des collectifs et des petites associations en travaillant sur le plaidoyer. En collaboration avec Welfarm, nous portons une demande de moratoire sur les élevages terrestres similaires à Pure Salmon, dans le but de sensibiliser et d’agir au niveau politique pour préserver nos écosystèmes marins et la santé des populations locales.
Notre objectif principal est d’exiger une évaluation approfondie des élevages de saumons en France par des institutions indépendantes. Cette évaluation doit porter sur plusieurs aspects cruciaux : les impacts environnementaux, le bien-être animal, et la conformité avec les engagements de la France, notamment par rapport aux accords de Paris-Nice et aux directives sur la qualité des eaux.
Cette demande est adressée aux députés de l’Assemblée nationale, ce qui constitue un enjeu majeur pour nous. En parallèle de ces actions politiques, nous préparons la publication de notre premier rapport d’investigation sur l’industrie du saumon.
De plus, nous sommes sur le point de lancer notre première plateforme, « Pink Bombs », qui sera dédiée à la compréhension approfondie de l’industrie du saumon : son fonctionnement, ses impacts, ainsi que les alternatives possibles au saumon. Cette plateforme sera disponible en juin et constituera une ressource précieuse pour informer et sensibiliser le public sur ces enjeux critiques.
Chloé: Quels sont les principaux objectifs à court et moyen terme, que Seastemik vise à atteindre dans son combat pour la préservation de l’environnement marin et comment vous envisagez d’y parvenir ?
Esther : Après la publication de Pink Bombs et de notre rapport d’investigation, notre objectif immédiat reste le soutien continu aux luttes locales, même si notre implication se fera de manière plus indirecte. Nous restons disponibles en tant que support financier et logistique pour ces initiatives, même si notre équipe est de taille modeste.
Par la suite, nous envisageons d’aborder le cœur même de notre mission : engager un dialogue avec les entreprises pour évaluer les impacts de leurs choix alimentaires sur les écosystèmes marins. Nous chercherons à collaborer avec ces entreprises pour trouver des solutions visant à réduire la consommation de saumon dans leurs menus. Notre but est de sensibiliser un large public aux impacts réels de nos choix alimentaires sur l’environnement marin, sur les animaux et sur la santé humaine, tout en soulignant la responsabilité collective de la France dans cette démarche.
Après cette première étape, notre prochain défi est de travailler sur les alternatives alimentaires de manière globale. Nous savons que les entreprises pourraient simplement remplacer le saumon par du cabillaud ou de la truite, ce qui ne résoudrait pas le problème de fond. Notre objectif est donc d’élaborer une stratégie solide pour une transition alimentaire vers des “produits” marins plus durables.
Nous sommes convaincus qu’il existe un horizon positif bien plus grand que ce que l’on imagine, et Seastemik est là pour apporter des solutions.
Nous collaborons également avec les acteurs de la restauration collective et de la grande distribution.
Nous envisageons de guider ces acteurs vers des choix plus durables en ce qui concerne tous les produits de la mer, y compris les crustacés et les mollusques, tout en sensibilisant le grand public. Actuellement, des recommandations comme celle de Solagro préconisent une réduction de 85 % de la consommation des produits de la mer d’ici 2050.
Notre ambition est d’affiner ces recommandations en fixant des objectifs intermédiaires pour les années à venir, comme 2030 et 2040, pour guider une transition progressive et responsable vers des pratiques alimentaires plus durables.
Chloé: Quel type de ressources et/ou conseils recommanderiez-vous pour celles et ceux qui souhaitent adopter une alimentation respectueuse de l’environnement marin ?
Esther : Pour l’instant, nous n’avons pas encore défini de consensus sur la meilleure manière de se nourrir, mais nos recommandations actuelles mettent en avant le fait que le saumon n’est pas indispensable dans notre alimentation. Il ne fournit rien d’unique en termes de nutriments, la vitamine C pouvant être trouvée dans une variété d’autres aliments. Bien que cela puisse sembler complexe pour le grand public, un premier pas vers le changement serait de réduire, voire d’éliminer, le saumon de nos assiettes. Nous encourageons également une transition vers une alimentation plus végétale et vers des produits issus de l’aquaculture de faible niveau trophique, comme les mollusques, les coquillages, les algues, plutôt que de privilégier le saumon.
Pour ceux qui désirent inclure du poisson dans leur régime tout en étant responsables, nous conseillons de se tourner vers des petits poissons tels que les sardines ou le maquereau, pêchés localement et de manière durable à la ligne. Consommer des sardines en conserve pêchées loin de nos côtes, comme en Mauritanie ou au Maroc, signifie prendre des ressources alimentaires à des populations qui en ont davantage besoin. Bien que ces options puissent être plus coûteuses, une consommation réduite mais consciente peut avoir un impact financier similaire tout en contribuant à une réduction globale de la consommation.
D’un point de vue nutritionnel, pour les oméga-3, il est possible de se tourner vers des sources végétales telles que l’huile de colza, l’huile de lin et les noix. Ces aliments fournissent des acides gras essentiels, comme l’ALA, de manière plus significative que le saumon.
Pour ceux qui recherchent des compléments alimentaires en oméga-3, nous recommandons plutôt des suppléments d’origine végétale par rapport aux suppléments à base d’huile de poisson. Les compléments à base d’huile de poisson sont souvent contaminés par des PCB, des métaux lourds, et contribuent à la surpêche minotière. Les suppléments végétaux, quant à eux, sont dérivés d’algues, la source originale de ces acides gras pour les poissons. Cette approche offre une alternative directe et sans pollution.
Pour ceux qui apprécient le saumon fumé mais souhaitent des alternatives durables, il existe des substituts végétaux de saumon fumé, notamment une marque française basée à Eysines, près de Bordeaux en Gironde. Ces produits, délicieux et sans PCB, offrent des niveaux équivalents, voire supérieurs, d’oméga-3 par rapport au saumon fumé traditionnel. Bien que légèrement plus chers d’environ un euro, leur prix reste compétitif et représente un choix éthique et responsable.
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