Hugo : Bonjour Louise, peux-tu te présenter et nous expliquer le concept de La Clé des Champs ?
Louise : Bien sĂ»r ! Je suis Louise Lesparre, fondatrice de La ClĂ© des Champs, une entreprise lancĂ©e il y a cinq ans. Ă l’origine, c’Ă©tait un podcast oĂč j’interviewais des agriculteurs partout en France pour aider le grand public Ă mieux comprendre leur mĂ©tier. Issue d’une famille d’agriculteurs dans les Landes et le Pays basque, j’ai ensuite travaillĂ© Ă Paris en direction marketing. C’est lĂ que j’ai rĂ©alisĂ© Ă quel point le monde urbain et le monde agricole Ă©taient dĂ©connectĂ©s.
Le podcast a rapidement pris de l’ampleur : Apple Podcast l’a sĂ©lectionnĂ© comme coup de cĆur de l’annĂ©e, et j’ai Ă©tĂ© invitĂ©e Ă interviewer le ministre de l’Agriculture de l’Ă©poque. Voyant l’intĂ©rĂȘt grandissant, j’ai dĂ©cidĂ© de transformer le projet en entreprise il y a trois ans. L’objectif : rendre l’agriculture accessible Ă travers des formations destinĂ©es aux professionnels en contact avec ce secteur sans en connaĂźtre les rĂ©alitĂ©s.
Hugo : Comment est née La Clé des Champs et quel est son objectif principal ?
Louise : L’idĂ©e est venue de discussions avec mes collĂšgues en marketing et grande distribution. J’ai rĂ©alisĂ© que beaucoup ne comprenaient pas le fonctionnement du monde agricole. J’ai eu des conversations absurdes, comme une directrice qui me demandait ce que devenaient les vaches de mes grands-parents. Ce fossĂ© de comprĂ©hension m’a poussĂ©e Ă agir.
Notre mission est de reconnecter ces mondes. Il y a une rĂ©elle incomprĂ©hension sur la maniĂšre dont sont produits les aliments. L’agriculture est souvent perçue Ă travers des idĂ©es prĂ©conçues, d’oĂč l’importance de crĂ©er un dialogue direct entre agriculteurs et professionnels du secteur agroalimentaire.
Hugo : Vous proposez des formations et des séminaires pour les entreprises. Peux-tu nous en parler ?
Louise : Oui, nos formations s’adressent aux commerciaux, marketeurs et acheteurs qui n’ont pas eu de contact direct avec l’agriculture durant leur parcours. Elles combinent un module e-learning, oĂč des experts expliquent les enjeux du secteur, et une immersion d’une journĂ©e Ă la ferme. Par groupes de cinq, les participants vivent une journĂ©e type d’agriculteur : traite, alimentation des animaux, discussions avec l’exploitant.
Les tĂąches pratiques servent de point de dĂ©part pour aborder diffĂ©rents sujets : gestion Ă©conomique, contraintes environnementales, dĂ©fis du mĂ©tier. L’objectif est d’aller au-delĂ d’une simple formation en crĂ©ant une expĂ©rience humaine forte. Souvent, ces immersions se prolongent en discussions informelles, voire en repas partagĂ©s avec les agriculteurs.
Hugo : Quels sont les grands défis actuels en matiÚre de formation agricole ?
Louise : Il y a deux enjeux majeurs. D’abord, la communication entre agriculteurs et professionnels de l’agroalimentaire. Les acheteurs et distributeurs ne parlent pas toujours la mĂȘme langue que les exploitants, ce qui complique les nĂ©gociations et la comprĂ©hension des rĂ©alitĂ©s du terrain. AmĂ©liorer cette interaction pourrait faciliter la revalorisation du mĂ©tier d’agriculteur.
Ensuite, il y a le renouvellement des gĂ©nĂ©rations. PrĂšs d’un agriculteur sur deux partira Ă la retraite dans les prochaines annĂ©es, mais les nouvelles installations ne suffisent pas Ă compenser ces dĂ©parts. Il est essentiel de former et d’accompagner ceux qui souhaitent se reconvertir, notamment les citadins qui ont une vision idĂ©alisĂ©e du mĂ©tier. Beaucoup d’entre eux arrivent avec des convictions fortes mais se heurtent Ă la dure rĂ©alitĂ© du terrain, parfois au point de faire un burn-out. Il faut donc des formations rĂ©alistes pour leur permettre d’Ă©voluer sans se brĂ»ler les ailes.
Hugo : Selon toi, comment peut-on mieux valoriser les mĂ©tiers de lâagriculture auprĂšs des jeunes gĂ©nĂ©rations ?
Louise : Je pense quâil y a un vrai travail de communication Ă faire. Aujourdâhui, on parle souvent dâagriculture pour pointer du doigt ses problĂšmes, alors que la majoritĂ© des agriculteurs sont passionnĂ©s et ne changeraient de mĂ©tier pour rien au monde. Certains vivent trĂšs bien de leur activitĂ©, mais ils ont dĂ» dĂ©velopper de vraies compĂ©tences de chef dâentreprise.
Aujourdâhui, rĂ©ussir en agriculture, câest savoir gĂ©rer une exploitation comme une entreprise, diversifier ses revenus, prendre des dĂ©cisions stratĂ©giques. Beaucoup dâĂ©leveurs laitiers, par exemple, installent des panneaux photovoltaĂŻques ou ajoutent un atelier de poules pondeuses pour assurer des revenus rĂ©guliers. Ils deviennent aussi managers, gĂšrent du personnel et prennent des dĂ©cisions Ă©conomiques cruciales. Pourtant, cet aspect du mĂ©tier est peu mis en avant, alors quâil est essentiel et trĂšs attractif.
Les jeunes agriculteurs que je rencontre sont incroyables. Prenons lâexemple de Louis LardiĂšre, Ă©leveur de basadaises. Il a dĂ©veloppĂ© la vente directe, lancĂ© un produit Ă base de mogettes vendĂ©ennes pour lâapĂ©ritif et se lance dans la culture de la cacahuĂšte. Il construit sa maison, attend un enfant et gĂšre tout ça avec brio. Ces profils sont lâavenir de lâagriculture : des entrepreneurs qui ont une vision 360° et innovent sans cesse. Ceux qui ne sâadaptent pas risquent de ne pas sâen sortir.
Il y a aussi une vraie rĂ©flexion sur les conditions de travail. Une Ă©leveuse dont je parlais a adaptĂ© ses horaires de traite pour terminer plus tĂŽt et passer du temps avec ses enfants. Dâautres agrandissent leur exploitation pour embaucher et sâassurer des week-ends et des vacances. Lâassociation entre agriculteurs se dĂ©veloppe aussi pour allĂ©ger la charge de travail. Le modĂšle traditionnel de lâagriculteur travaillant sans relĂąche nâest plus viable. Il faut repenser lâorganisation des exploitations pour attirer de nouveaux profils.
Lâagriculture nâest ni toute noire ni toute blanche. Il faut arrĂȘter de juger sans comprendre et montrer que câest un mĂ©tier exigeant mais passionnant, oĂč lâon peut bien vivre si lâon adopte les bons modĂšles.
Hugo : As-tu remarqué une évolution dans la perception des métiers agricoles ces derniÚres années ?
Louise : Il y a un paradoxe. Les consommateurs aiment les producteurs locaux, mais critiquent lâagriculture dans son ensemble. Pourtant, ce sont ces mĂȘmes producteurs qui font lâagriculture.
Il existe aussi beaucoup dâidĂ©es reçues, notamment sur lâutilisation des phytosanitaires. Certains pensent que lâagriculture biologique est la seule solution, mais elle nâest pas toujours viable. Un maraĂźcher bio peut voir toute sa rĂ©colte dĂ©truite par le mildiou sans pouvoir traiter, alors quâune utilisation raisonnĂ©e des phytos pourrait Ă©viter ces pertes. On doit nourrir une population croissante, et lâagriculture doit trouver un Ă©quilibre entre rendement et respect de lâenvironnement.
Aujourdâhui, les pratiques ont Ă©voluĂ©. Les agriculteurs sont formĂ©s, utilisent la cartographie des sols, analysent la mĂ©tĂ©o avant de traiter, appliquent les produits avec prĂ©cision. Mais lâimage du « tout chimique » persiste, alors quâon est loin des pratiques dâil y a 50 ans.
Un autre problĂšme vient du dĂ©calage entre la perception du public et la rĂ©alitĂ© du terrain. Lâagriculture a changĂ© en 20 ans, mais beaucoup ont encore en tĂȘte le modĂšle des annĂ©es 50, celui de la petite ferme familiale. Pourtant, pour ĂȘtre compĂ©titif et viable Ă©conomiquement, il faut souvent des exploitations plus grandes et structurĂ©es diffĂ©remment.
Les entreprises agricoles doivent aussi assumer et expliquer leurs pratiques. Si certaines mĂ©thodes ne sont plus dĂ©fendables, il faut les changer. Mais si elles ont un sens, elles doivent ĂȘtre expliquĂ©es au grand public. Sinon, on continue dans un dialogue de sourds, oĂč les gens jugent sans comprendre les rĂ©alitĂ©s du mĂ©tier.
On vit dans une sociĂ©tĂ© oĂč tout doit aller vite, alors que changer un modĂšle agricole prend du temps. Tester de nouvelles pratiques, adapter les sols, tout cela peut prendre 10 ans. Il faut donc accepter cette complexitĂ© et prendre le temps dâinformer correctement.
Si, en Ă©coutant mon podcast, quelquâun se dit « Câest plus compliquĂ© que ce que je pensais », alors jâai dĂ©jĂ gagnĂ© quelque chose.
Hugo : Quels sont tes futurs projets pour La Clé des Champs ?
Louise : On dĂ©veloppe de nouveaux modules de formation. AprĂšs « Lâagriculture française de A Ă Z », on lance « La vie dâune exploitation agricole » pour approfondir les enjeux Ă©conomiques, sociaux et administratifs des fermes.
On a aussi créé lâAGRI Academy, une plateforme de formation continue pour maintenir Ă jour les connaissances des professionnels. Chaque mois, on publie quatre contenus :
- Les trois actus agricoles Ă ne pas manquer,
- AGRI Décrypte, un zoom sur une thématique précise,
- Câest la saison, qui explique ce que font les agriculteurs sur le terrain,
- Des masterclass live avec des experts.
Lâobjectif est dâacculturer les collaborateurs des entreprises au monde agricole. Passer une journĂ©e Ă la ferme, câest bien, mais ça ne suffit pas. Un commercial qui vend aux Ă©leveurs doit comprendre leurs dĂ©fis. Par exemple, en ce moment, la MHE, une maladie bovine, touche de nombreux Ă©levages. Si un commercial ignore ce sujet, il perd toute crĂ©dibilitĂ© face Ă un agriculteur.
Les relations avec les agriculteurs ne se construisent pas en un instant. Ils testent souvent les interlocuteurs en Ă©tant froids au dĂ©but. Mais si on arrive avec une vraie comprĂ©hension de leurs problĂ©matiques, la discussion sâouvre. Et une fois la glace brisĂ©e, on peut passer des heures Ă Ă©changer et visiter leur exploitation.
Un grand merci Ă Louise pour avoir rĂ©pondu Ă nos questions ! Vous voulez en apprendre dâavantage sur la clĂ© des champs et Ă©couter le podcast de Louise ? Rendez vous sur leur site internet et suivez les sur les rĂ©seaux sociaux !
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